jeudi 15 mars 2012

3. La tradition ou La loi orale.


  
Qu’est ce que la Tradition orale ?

Le terme tradition utilisé aujourd’hui est loin d’être représentatif de ce que nous, juifs, appelons tradition. Il ne s’agit pas de coutume ancestrale ou de quelques formes de rituel. La tradition sont des éléments indispensables accompagnant les écritures et leur offrants un grille de lecture correct. Sans cette tradition les écritures seraient sujettes à multiples interprétations. Leurs messages seraient  obscurs et inintelligibles. Pour cela, nous veillons à garder ce message précieusement afin de pouvoir établir la lecture correcte des textes bibliques. Ce qui n’est pas chose facile.

La Tradition orale, n’est pas « orale » par coïncidence. En fait, ce n’est pas tant sa lettre qui est orale mais la manière de l’acquérir et de la léguer. Elle est comme une flamme délicate et vulnérable, comme un  flambeau précieux qui se transmet de la bouche du maître  à l’oreille de l’élève. Le maître n’est pas qu’un support cérébral passif qui ne fait que véhiculer le contenu du message divin, tous au contraire, le message s’est incarné chez lui, l’a purifié, et l’a hissé vers le sommet du mont Sinaï, pour qu’il remplisse, à son tour, le rôle du berger envers les prochaines générations. 

Pourquoi « orale » .

Il serait prétentieux de vouloir donner une réponse exhaustive à cette question. Cependant, on observe que grâce à ce code de lecture se trouvant à l’extérieur du texte, la bible renferme son secret, qui n’est accessible qu’aux personnes intéressées. Ceux, qui tente d’interpréter la bible, sans cet outil précieux, ne font que projeter leur compréhension du divin dans un texte figé et leur résultat reste bien limité et subjectif. 

Cette loi ne prend pas source dans un anti-humanisme radicale, dégagé de tout affect, mais dans un sujet bien vivant s’étant prédisposé à recevoir la loi. Cette Tora est donc tributaire du rapport que le sujet à avec le monde et avec lui-même. Quand l’élève reçoit la Tora, il ne doit pas tenter de la désubjectiver ou de la synthétiser mais de l’incarner. Cette loi doit l’induire à une introspection identitaire afin qu’elle soit comme le sang qui coule dans ses veines, afin que l’expression éternelle de la voix du Sinaï pénètre dans tout les fibres de son corps.

N’étaient disposés à ce procédé, qu’une poignée d’individu dans chaque génération, et cela jusqu’à la génération des « Tannaïm ».  

La Tradition orale aujourd’hui.

Tout ce qui a été dit jusque là, tente de représenter l’idée de Tora orale avant la décision des « Tanaïm » (décision, qui dépasse la limite de nos propos) de la « mettre en page ». Figée sur un parchemin, elle n’est plus que la représentation graphique de cette flamme. Inanimé, elle n’éclaire plus et ne réchauffe plus. 

Cependant, tout initié s’apercevra rapidement que le texte est insuffisant pour interpréter correctement la loi. Il renferme en lui courageusement encore son secret. C’est le maître qui conserve discrètement la grille de lecture permettant de déchiffrer la lettre, on ne peut donc pas en faire l’économie. Mais dorénavant, ce n’est plus par la relation maîtres-élève uniquement que la transition à lieu, mais par l’épanchement du maître et de l’élève sur la lettre qui devient le support principal de la transmission. Maître et élève s’épanchent sur le texte et lui insufflent la vie.

L’organisation singulière et la formulation insolite du canon talmudique nécessitent la présence du maître. Ses formats aussi étranges soient-ils sont les vestiges de la dimension orale première de la tora. 


Cependant, au moment de la transition de l’un à l’autre, la Tora orale retrouve son vrai visage. La, dégagé de tout affect, libéré de toutes dérivations subjectives, dénuée de tout formatage social, la loi est prête à recevoir le seau du prochain destinataire, le seau d’une prochaine génération.

C’est dire que la Tora orale n’est pas en évolution mais qu’elle se conjugue à un monde en évolution.
 
  
Avons-nous des preuves de « l’oralité biblique »

Tout cela est bien beau, émouvant même. Mais est-ce vrai ? Peut-être, que la loi orale n’est autre que des rajouts de l’homme ? Les rabbins interprètèrent à leur manière les écritures et leurs interprétations  n'engageraient qu’eux ?

Peut-être devrions-nous nous en tenir qu’à « la lettre » à proprement dit ? N’est ce pas l’unique parole de Dieu ? Qui permet à l’esprit humain de souiller la bible en y mêlant un dimension interprétative ? De quel droit pourrions-nous aux nom de Dieu rajouter des ordres et leur alléguer le statut de divin ?

Ces questions sont légitimes !

Existence de « l’oralité de la bible »

Avant d’y répondre, je voudrais prouver que même si les savants juifs vivant à l’époque du temple ne détenaient pas l’oralité de la Tora, nous sommes obligées d’accepter qu’il existe un code de lecture transmis de génération en génération. Car dans le cas contraire, nous savons combien d’encre a été déversée pour présenter diverses interprétations bibliques. Plusieurs de ces interprétations sont raisonnablement supportées par le texte brut. Quelle est alors la bonne ? La bible soumise à l’interprétation humaine et à sa subjectivité, ne représenterait plus un message divin quelconque.

Hors tout monde (en l’an 0) s’accorde pour considérer la bible comme le support unique du message divin. Sans règles précises de décodage, le message est totalement insondable.

Les débats inter-religieux et entre courants différents d’une même religion en est la preuve. Si le texte est ouvert à toutes interprétations chacun peut choisir sa voie, et le débat est stérile. J’ai eu l’occasion d’assister à des débats de ce style, où le chef d’orchestre n’est autre que la subjectivité, la conclusion reste toujours vaseuse.

Comment prouver qui possède les règles de décodage ?

Le seul support certain et indiscutable que nous disposons pour connaître le dépositaire de ce code, ne peut être autre que le texte de la bible lui-même. 

Les deux questions clé qui nous permettront de découvrir la solution de notre prolème sont les suivantes : « Le texte de la bible, nous donne t-il des indications, sur l’existence d’une oralité biblique ? Le texte de la bible, nous donne t-il des indications, sur les possesseurs des règles de décodages ? »

Preuves de l’existence d’une oralité biblique.

Voici deux passages faciles qui répondront à la première question.

Deutéronome (17,8-11) « …Tu monteras au lieu que l’Éternel, ton Dieu aura choisi et tu viendras vers les sacrificateurs, les Lévites, et vers le juge qu’il y aura en ces jours-là, et tu rechercheras, et ils te déclareront la sentence du jugement Et tu agiras conformément à la sentence qu’ils t’auront déclarée, de ce lieu que l’Éternel aura choisi, et tu prendras garde à faire selon tout ce qu’ils t’auront enseigné. Tu agiras conformément à la loi qu’ils t’auront enseignée, et selon le droit qu’ils t’auront annoncé. Tu ne t’écarteras, ni à droite ni à gauche, de la sentence qu’ils t’auront déclarée. »

Voici ici, l’ordre divin  de respecter la parole des prêtres et du juge « en ces jours ». La condition requise pour que leurs décisions aie valeur de loi divine est qu’il faut que le temple soit construit (Tu monteras au lieu que l’Éternel, ton Dieu aura choisi).  Pourquoi ne pas faire son propre jugement ? Parce qu’il est nécessaire de connaître l’interprétation unique du texte biblique pour que le jugement soit correct !  Et cela est précieusement gardé par les juges de l’époque.

Deutéronome  (12,21) « Quand l’Éternel, ton Dieu aura étendu tes limites, comme il te l’a promis, et que tu diras : Je mangerai de la viande, parce que ton âme désirera manger de la viande, tu mangeras de la viande, selon tout le désir de ton âme. Si le lieu que l’Éternel, ton Dieu aura choisi pour y mettre son nom est loin de toi, alors tu égorgeras de ton gros et de ton menu bétail, que l’Éternel t’aura donné, comme je te l’ai commandé, et tu en mangeras dans tes portes, selon tout le désir de ton âme. »

Ici, la bible nous informe qu’il est permis de manger de la viande même si elle ne provient pas d’un sacrifice. Cependant, moise nous rappelle qu’il faut auparavant suivre un certain rituel « comme je te l’ai commandé ». Et la, le lecteur assidu reste interdit devant ces versets. En fait, nul part « dans le texte » Moise nous a informé d’une  démarche particulière pour égorger les animaux afin de permettre leur  consommation. Il est clair qu’il s’agit là, de directives que Moise a transmis « oralement » à l’ensemble du peuple. Le talmud est clair a ce sujet.  Les Cinq grandes lois d’abattage rituel sont reçues oralement de Moise, qui, les a reçu au Sinaï. 


L’opinion chrétienne sur la question.

Aujourd’hui, les chrétiens, ainsi que les autres groupes religieux affiliés au christianisme remettent en question la légitimité de l’exégèse rabbinique de l’époque. Selon eux, les savants juifs ne peuvent pas rajouter expliquer et interpréter les écritures. A l’époque de la rédaction des évangiles, cela n’est pas exact. Jésus lui-même, tel que rapporté dans les évangiles, admet à différentes reprises que les savants juifs sont les représentants de la chaire de Moise.

Voici deux passages qui illustrent parfaitement ces faits.

En introduction au premier passage, il est nécessaire de savoir que les pharisiens sont dénigré sans cesse dans les évangiles. L’adjectif d’hypocrite les accompagne sans merci. (Je parlerai de l’intérêt qu’avaient les auteurs de procéder de la sorte dans le prochain chapitre.) Cependant quand il s’agit de savoir qui a raison entre pharisiens samaritain et saducéen, aux dires de Jésus, ce sont toujours les pharisiens qui remportent. 

Mattieux Chapitre 23 (1-3) « Alors Jésus parla aux foules et à ses disciples, disant : Les scribes et les pharisiens se sont assis dans la chaire de Moïse. Toutes les choses donc qu’ils vous diront, faites-les et observez-les ; mais ne faites pas selon leurs oeuvres, car ils disent et ne font pas. »

Hors, les pharisiens expliquaient la parole divine et légiféraient selon le code de la Tora orale qui leur était transmise ! (Dans le prochain chapitre, je tenterai d’expliquer ce qui forçait les rédacteurs des évangiles à présenter ainsi les pharisiens.)

Voici le second passage :

Marc 2 (23-26) « Et il arriva qu’il passait par les blés en un jour de sabbat ; et ses disciples, chemin faisant, se mirent à arracher des épis. Et les pharisiens lui dirent : 24 Voici, pourquoi font-ils, le jour de sabbat, ce qui n’est pas permis ? 25 Et lui leur dit : N’avez-vous jamais lu ce que fit David quand il fut dans le besoin et qu’il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui, 26 comment, au [titre] «Abiathar, souverain sacrificateur», il entra dans la maison de Dieu, et mangea les pains de proposition, qu’il n’est pas permis de manger, sinon aux sacrificateurs, et en donna aussi à ceux qui étaient avec lui ? »

Cet épisode se trouve aussi dans Luc 6 et Matthieu 12,  dans Luc, les pharisiens reprochent aux disciples de froisser les épis entre leurs mains. Jésus prend leur défense, en comparant leur action à celle de David qui se sauvé de Saül.

Si Jésus (ou en d’autres termes, les auteurs des évangiles) considère la démarche et l’exégèse rabbinique de l’époque infidèle, sa réaction est totalement déplacée. Il aurait du répondre tout simplement, qu’il est permis d’arracher et de froisser du blé le jour du chabbath !

Nous voyons que Jésus accepte le fait qu’il soit interdit d’arracher des épis ou de les froisser, il excuse ses disciples en comparant leur acte à celui de David (comparaison, qui n’a pas lieu d’être dans ce cas présent, mais là n’est pas notre propos).

Pourtant, nul part dans le texte de la bible, est-il mentionné  l’interdiction d’arracher du blé ou de le froisser entre les mains. Cela ne sont que des ordonnances provenant d’une exégèse rabbinique fortement discutable si elle est inventé. Si même Jésus (ou les textes le représentant) s’accorde à cette exégèse, c’est qu’il ne peut en faire l’économie. C’est donc, qu’elle est reconnue être d’ordre divine. Elle est la Tora orale reçu et transmise par les savants juifs de l’époque.

Conclusion.

L’expérience du Sinaï a eu lieu il y a à peu près 127 générations. Aujourd’hui, les juifs connus comme tels,  ont tous un arrière grand père qui acceptait le judaïsme talmudique et le pratiquait. Aucun juif caraïte peut affirmer que son arrière-grand-père est caraïte il en est de même pour les juifs messianiques et les juifs réformés. (je doute fort que l’on trouve un juif Caraïte ayant même un grand père caraïte)  tout les juifs qui n’adhérer pas à la loi orale il n’y a de cela que 5 génération, n’ont pas aujourd’hui de descendance juive !

La question qui se pose est la suivante : « Pourquoi ce judaïsme inventé par les rabbins, Dieu pris soin de les protéger, alors que toutes les autres formes de judaïsme ont disparu[1]. Nous savons combien la transmission est d’une importance capitale pour Dieu. C’est en cela qu’Abraham fut choisi, comme il est dit dans la genèse chapitre 18 verset 18-19.

« …Abraham doit devenir une nation grande et forte, et en lui seront bénies toutes les nations de la terre… Car je le connais, [je sais] qu’il commandera à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de l’Éternel, pour pratiquer ce qui est juste et droit, afin que l’Éternel fasse venir sur Abraham ce qu’il a dit à son égard. »

Cette notion est aussi mise en valeur dans les paroles du prophète Isaïe chapitre 59 verset 20-21.

« Et pour Sion viendra un rédempteur et pour ce de Jacob qui se sont repentis, au nom de Dieu. Et moi (Dieu) voici mon alliance avec eux, a dit l’Eternel, mon souffle que j’ai mis sur toi et la parole que j’ai placée dans ta bouche, ne s’écartera pas de ta bouche, ni de celle de tes enfants et de leurs descendants, depuis maintenant et pour l’éternité. »

Il semble superflu de dire que le seul courant religieux qui aujourd’hui  remplit ces conditions, c’est le judaïsme talmudique et rabbinique. Qui depuis toujours, et sans interruption, a transmis le message de Moise à leurs enfants et petit enfants.


[1] Et même, si au cour des dizaines de générations qui nous séparent du Sinaï, certains mouvements réapparaissent, ce n’est pas de façon continue, mais juste par des dérives momentanées causées par plusieurs organismes religieux ou laïcs de natures diverses. 

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